samedi 24 octobre 2009

Un "truc" à moi que je vous offre volontiers

Ce matin, un de mes petits élève est arrivé "en crise" à l'école. Son papa a eu du mal à déserrer les doigts qui le cramponnaient, et il est parti rapidement, après avoir dit au revoir tout de même, tout à fait conscient que sa présence ne résoudrait pas le problème.
Tous les enseignants de maternelle connaissent ces chagrins qui peuvent s'avérer communicatifs et face auxquels on est le plus souvent démuni.
Moi, j'ai un truc... infaillible ou presque. Je peux presque me vanter de ne pas connaître d'échec.
Un truc que j'ai "inventé" il y a plus de 15 ans pour ma fille d'abord, et que j'ai introduit ensuite dans ma classe pour la Fête des Mères, pour finalement le banaliser un jour de nécessité dans une fulgurance d'évidence.
J'utilise des Enveloppes à Bisous...à Vrais Bisous!
J'ai quelques précieuses photos d'élèves, assis côte à côte sur les petits bancs, tous le nez consciencieusement plongé dans l'enveloppe qu'ils venaient de décorer pour l'offrir à leur maman, et faisant résonner les bisous, avant de vite vite la fermer "pour pas que les bisous s'envolent".
Très vite je me suis rendue compte qu'il fallait un mode d'emploi à ce cadeau, parce qu' inévitablement, il y avait toujours une maman qui arrivait le lendemain, l'enveloppe ouverte à la main : "vous avez du oublier quelque chose, il n'y avait rien dedans!". La parade avait été immédiate, et je me demande encore comment j'ai pu m'en sortir de cette pirouette, sans doute à cause du regard désespéré de l'enfant. "Vous avez du l'ouvrir trop vite, les bisous se sont tous envolés, pourtant, je peux vous l'assurer, votre enfant en a mis beaucoup dedans, et ça faisait même beaucoup de bruit". La maman réalise alors sa gaffe (c'est pas bête, une maman, souvent juste un peu débordée) et comme je ne veux pas la laisser en difficulté, j'ajoute : "mais ce n'est pas grave, on va en faire une autre". Ouf, tout le monde est sauf!
Cela fait donc longtemps que l'Enveloppe à Bisous fait partie de mes stratégies de "maîcresse" d'école, et cette année encore, elle ne va pas chômer. Quand une maman est partie trop vite, ou un papa, bien sûr, quand il manque un câlin, je ne détourne jamais l'attention de l'enfant, je ne lui propose pas d'oublier son chagrin, au contraire, je mets des mots dessus. Je dis doucement : tu as un chagrin? tu es en colère? tu veux ta maman? tu voudrais lui faire un bisou? tu la verras ce soir, elle est au travail, elle a plein de choses à faire pendant que toi tu apprends à grandir. Mais si tu veux, ton bisou, tu peux le mettre dans une enveloppe, et tu lui donneras ce soir.
Eh bien, vous savez quoi? ça marche! Les bisous dans les enveloppes, on les entend! Et le soir, on ne l'oublie pas.
 Ce matin, j'ai donc ressorti ma stratégie anti-chagrin : j'ai emmené l'enfant avec moi dans le dortoir qui jouxte la classe, calmement, mais en lui tenant fermement la main, malgré ses cris et un peu de résistance. Le plus important est de ne pas se sentir personnellement agressée, parce que ça, l'enfant le ressent et le chagrin devient alors objet de conflit, ce qui évidemment déplace le problème, le complique et ne permet pas de le résoudre dans la sérénité. Je l'ai installé sur le bureau, et moi, assise sur la chaise, lui faisant face, de telle sorte que je puisse capter son regard alors qu'il baissait la tête tout à ses larmes. J'avais ses mains dans les miennes et je lui ai parlé doucement de son chagrin. Il voulait voir sa grande sœur. J'ai expliqué que ce n'était pas possible, mais je lui ai dit, d'un ton très confidentiel, que je pouvais faire quelque chose pour lui. Je lui ai dit que ce bisou qu'il voulait lui donner, il pouvait l'enfermer dans une enveloppe et lui offrir ce soir. L'enfant était déjà calmé...les Enveloppes à Bisous agissent d'une façon très mystérieuse et toujours spectaculaire pour peu que leur usage soit sincère.
Nous sommes allés chercher une enveloppe ordinaire dont j'ai toujours une liasse en réserve..
Pour continuer dans la mise en scène de l'émotion et parce que je crois qu'il est important de "dramatiser" ce qui va suivre pour lui conférer sa légitimité, nous sommes retournés dans le calme et la pénombre du dortoir, accompagnés de quelques curieux intrigués et néanmoins silencieux. Là j'ai demandé s'il était prêt...et j'ai tenu l'enveloppe ouverte devant ses lèvres. Et il n'y a pas mis qu'un seul bisou! Ensuite, j'ai vite clos l'enveloppe et j'ai écrit dessus, en lisant à haute voix au fur et à mesure : dans cette enveloppe, X a mis de vrais bisous pour sa grande sœur Y. Et l'enfant est allé ranger l'enveloppe dans son sac à dos, enfin réconcilié avec la terre entière.

Et c'est toujours avec le même succès que les chagrins d'amour prennent fin dans ma classe...il suffit de mettre des bisous, des vrais, dans une enveloppe!

Un jour, une collègue ou une maman, je ne sais plus, m'a suggéré de mettre des empreintes de lèvres découpées dans les enveloppes...Allons! les bisous sont-ils des traces sur un papier? certainement pas! Les bisous, c'est un joli bruit qui s'échappe dans un souffle d'amour, ça ne se dessine pas, ça ne s'imprime pas...mais on peut quand même les enfermer...dans une enveloppe par exemple. D'ailleurs, les enfants le savent bien : quand on colle son oreille sur une enveloppe remplie de bisous, on les entend, et ça fait du bruit!
Il me plait vraiment de penser que des mamans (ou des papas) ont, dans leur armoire, des enveloppes à bisous qu'elles conservent pour "quand elles en auront besoin".

Ces pourtant très modestes enveloppes me font toujours autant rêver : elles ne contiennent rien de palpable, de mesurable, et pourtant, elles sont remplies de tout l'amour du monde, toujours. De la poésie pure.

Pour les grands jours, évidemment, on décore une belle enveloppe accompagnée d'un texte de ma composition, imprimé sur un papier que je parchemine sur la plaque électrique de la salle des maîtres (fenêtres ouvertes, car fumées certainement peu recommandées) :






Pour ceux qui tiquent sur le "qu'à l'air de rin", il s'agit d'un clin d'œil spontané à une poésie de Jean Tardieu, "La môme Néant". J'adore ce poète et particulièrement ce texte.

Et puis un jour, on m'a demandé de fabriquer des enveloppes que l'on pourrait m'acheter...
Et puis un jour, j'en ai vendues lors d'une exposition : j'ai été stupéfaite du succès, et ravie de voir qu'autant de monde puisse être sensible à la poésie de l'objet. Plus tard, j'ai même retrouvé un fragment de ma poésie sur le blog d'une personne qui avait reçu une de mes enveloppe en cadeau...et on n'avait pas oublié de noter mon nom d'auteur, ce qui, bien sûr, m'a encore plus touchée.
Voilà donc l'histoire de l'Enveloppe à Bisous, dont j'ai fini par protéger le concept en attendant qu'un jour peut-être... mais je me sens plus douée pour la création que pour la commercialisation!
Je vous livre les textes qui accompagnent mes enveloppes. Je suis sûre que vous allez apprécier.




C'est vraiment un super truc pour désamorcer un gros chagrin, et ce n'est pas une manipulation de l'enfant pour avoir la paix : je respecte son chagrin qui est légitime, et je lui permets d'en sortir en transcendant son désir, en différant son besoin...ce qui peut aussi s'appeler apprendre à grandir...
Et moi, franchement, je suis ravie de distiller des petites touches de poésie et de bonheur juste avec une enveloppe...et un peu d'amour!

Est-on loin du Petit Jardin? Je ne crois pas...parce que jardiner, c'est aussi cultiver du bonheur et s'émerveiller de la vie, tout simplement...

Ce qui me fait penser qu'il me reste encore quelques pages à publier de mon dossier pédagogique...

mercredi 21 octobre 2009

passons aux choses sérieuses...

J'ai donc retrouvé ma classe et mon poste, à mi-temps...ce qui est bien suffisant pour mon oreille bionique. Le soir, j'apprécie calme et silence une fois que les acouphènes ont daigné cesser de prendre le relais du bruit inévitable d'une classe maternelle.

Démarrage au pied levé, haute voltige et séduction : élèves et parents ont été, les premiers, séduits, et les autres rassurés quant à la capacité d'adaptation de leurs petits à une nouvelle maîtresse.

Samedi dernier, je suis allée hanter une Journée des Plantes à Courson (91) et j'ai fait quelques rencontres fort intéressantes. Il a fallu que j'aille aussi loin pour apprendre qu'à Maisons-Alfort (94), dans l'enceinte de l'Ecole Vétérinaire, on ne se contentait pas d'étudier et soigner chevaux, lapins, gallinacées en tout genre, chiens et autres minous, mais qu'on y observait aussi les plantes...et que même un potager se cultivait par des groupes scolaires sous l'égide d'un professeur grand maître jardinier. J'ai présenté mon Petit Jardin qui a eu l'heur de surprendre et d'intéresser comme une alternative au manque de surface cultivable dans certaines écoles.
Un de ces mercredis prochains, je rendrai une petite visite au potager de l'Ecole Vétérinaire..
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Donc, j'étais à Courson, navigant  d'herbes aromatiques anciennes -thym citron, thym réglisse, thym eucalyptus, mais aussi menthe ananas, menthe gingembre, menthe bergamote- en dégustation de confitures de fruits sauvages glanés au bord des chemins par un vrai passionné (ma préférée, une rhubarbe aux fleurs de sureau à la fois acidulée et d'une merveilleuse douceur). Il y avait aussi les inévitables et fascinantes plantes qui poussent quasiment sans eau, des orchidées somptueuses (même si je goûte peu leur beauté hiératique), une collections d'agrumes qui m'a permis de vérifier de visu la taille des spécimens mentionnés dans mon livre"La Cuisine des Agrumes" et d'ajouter à mes connaissances le petit citron-caviar dont les grains, de la taille des fameux œufs de poisson, mais couleur pamplemousse légèrement rosé, s'échappaient en trop-plein d'une incision de l'écorce.
Tout ça pour arriver, par hasard et sur le chemin de la sortie, devant un gigantesque éventaire de cagettes contenant des bulbes de toutes couleurs et de toutes tailles.
Pourquoi pas planter des bulbes qui fleuriraient la table de Noël....réflexe d'enseignant en fonctionnement pédagogique permanent!
Donc, je commence à chercher le bulbe magique, à planter de suite, qui ouvrirait ses fleurs dans moins de 2 mois et qui ne grèverait pas le budget de la classe. Le bulbe à 5 pattes!
L'horticultrice s'est proposée de m'aider et m'a déniché l'oiseau rare...mais un peu cher. Quel est votre budget finit-elle par me demander...et elle de m'offrir les 24 bulbes nécessaires pour la somme dont je disposais, puisque c'était pour une classe. Et comme je lui montrais le projet du Petit Jardin, j'eus droit à quelques bulbes de crocus à safran en prime. Merci beaucoup, Madame, pour votre gentillesse, dès demain, les bulbes seront mis en godets.
Mon butin attend donc depuis quelques jours, dans la voiture, mon retour en classe. J'ai acheté terreau de plantation universel et godets de tourbe (à moins que je trouve dans les réserves de l'école 24 pots en bon état).



J'ai récupéré sur internet une photo de "narcisse paperwhite", un narcisse spectaculaire dont les fleurs blanches, petites et parfumées s'accrochent en bouquet fourni en haut de la tige.
J'ai aussi déniché un article fort intéressant qui suggère de placer les bulbes au froid avant plantation, afin d'accélérer la végétation.4 jours et 5 nuits dans la voiture, avec les températures en baisse, ça devrait être parfait.

o Plantations à l'intérieur : En pot ou dans une jardinière ( crocus, narcisses, tulipes, amaryllis), plantez les bulbes bien serrés les uns contre les autres pour obtenir un effet de masse ( à l'exception de l'amaryllis qui demande un pot assez large et doit être planté seul).
ATTENTION! ne les recouvrez pas entièrement et laissez la pointe en dehors.
Arrosez régulièrement.
La plantation en intérieur peut également se faire dans un pot ou une carafe rempli d'eau.
Afin d'accélérer leur floraison, laissez les dans un endroit sombre et frais jusqu'à ce que les pousses sortent jusqu'à environ 8 cm, ou bien laissez les bulbes pendant une semaine ou plus dans le bac à légumes du réfrigérateur. Puis mettez les au clair dans la maison, près d'une source de chaleur.

http://www.plantes-et-jardins.com/magazine/fiches/fiche.asp?id_fiche=8

Donc, demain, nous planterons nos bulbes de narcisses, mais nous allons réserver les bulbes de crocus pour la rentrée des vacances d'automne : la floraison devrait se faire rapidement en 3 semaines. Il vaut donc mieux attendre si nous voulons voir pointer les premières feuilles. Pour nos narcisses, il ne devrait pas y avoir grand changement en 10 jours...

Je commence déjà à réfléchir à la façon dont les narcisses seront présentés. Ce sera le "cadeau" que les élèves rapporteront à la maison, et il faudra lui donner un air de fête. Il y aura sûrement des paillettes. J'adore les paillettes et les élèves aussi! A moins que sobrement, je me contente de peinture dorée. J'ai déjà une petite idée.

Et il faut que je rédige une fiche de progression, et que j'élabore des exercices. Courson et ses bulbes m'ont un peu forcé la main -une excellente motivation pour renouer avec la pédagogie et la programmation des acquisitions.

Demain, les élèves enrichiront leur vocabulaire et leurs connaissances botaniques : narcisse, bulbe, fleur, bouquet, tige, feuille, terre, terreau, godet; et ils se saliront les mains en installant leur bulbe dans leur godet avant de l'installer sur la tablette posée sur les radiateurs devant les baies vitrées. Un endroit royal pour pousser en toute quiétude.

Nous n'aurons guère de temps à consacrer à d'autres choses : demain, journée du goût à l'école, toutes les classes vont se retrouver autour d' un grand buffet des couleurs, dédié aux fruits et légumes d'automne.

mardi 13 octobre 2009

Dans une classe, même le plus anodin ne répond pas au hasard

Comme je l'ai dit dans une réponse à Sol-poisson, me voilà revenue sur le terrain après une absence d'un peu plus d'un an. J'ai été surprise de la façon dont j'ai réinvesti ma panoplie de maîcresse d'école (non, y a pas de faute d'orthographe...). C'est comme si, en quelques minutes, des parenthèses avaient absorbé cette absence pourtant longue.
Quand on est enseignant depuis un certain temps dans une même école (14 ans déjà), dans une même salle de classe de même niveau (6ème année), on finit par fonctionner dans un espace aménagé au gré des nécessités, mais dont l'ergonomie n'a pas livré ses secrets, tout simplement parce que la pratique n'est pas nécessairement conjointe à la réflexion. Heureusement qu'on ne passe pas son temps à s'interroger sur ses motivations, sinon on en finirait par ne plus avoir le temps de vivre.
Mais là, il se trouve que "mon" espace a été réaménagé par l'enseignante qui a vécu en ces lieux pendant plus d'un an. Normal qu'elle ait trouvé ses propres marques. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de reprendre possession du "territoire" en lui redonnant quelques airs d'autrefois. Exit les 2 grands tables octogonales (au look pourtant sympa) mais qui ne permettent pas à 8 enfants de s'installer confortablement devant une feuille A4 dans le sens de la longueur, et dont le rayon dépassant largement l'amplitude d'un bras de petit enfant ne permet pas l'accès de chacun aux mêmes accessoires/outils. J'ai récupéré mes 4 petites tables rectangulaires de 4 places pour travailler, et jusqu'à 6 pour jouer ou manipuler. Avec ces petites tables, je peux varier l'aménagement des surfaces de travail à volonté, en les assemblant par 2, par 4, ou 3 + 1, dans la largeur ou la longueur. Et un changement de géographie de la classe ne laisse jamais indifférent : l'ambiance change, les circulations sont différentes, les échanges aussi. Quand toute la classe se trouve réunie autour des 4 tables assemblées avec une plus grande, il y a comme un air de fête qui participe de la communication ouverte : chacun voit tout le monde, et je crois que c'est dans ces moments que la notion d'appartenance à un groupe prend vraiment tout son sens, bien plus que dans les coins de regroupement où le groupe est plutôt orienté vers le Grand Dispensateur de mots (l'enseignant(e) bien sûr). Si vous le pouvez, testez dans vos classes si vous ne l'avez déjà fait.
Bon, voilà pour les tables.
Mais j'ai parlé aussi de l'organisation du coin regroupement. Ma jeune collègue est très à l'aise assise sur une petite chaise, le dos au mur sur lequel sont affichées les comptines apprises. Les élèves occupent 3 bancs situés en face et de part et d'autre, le surnombre s'installant par terre sur un tapis. Une organisation assez classique que j'ai pratiquée aussi mais dont je me suis très vite débarrassée. Et c'est là que je me suis posée la question : pourquoi avoir réorienté le système en miroir...c'est à dire les enfants dos au mur et moi avec tout l'espace classe dans le dos. Jamais je ne me serais interrogée sur cette question si je n'avais pas repris mes fonctions dans cette classe qui avait vécu sa vie sans moi pendant un an.

Le 1er jour, je me suis assise sur la petite chaise consacrée, le dos au mur.

Malaise et douleurs.
Éliminons les douleurs d'abord, c'est la chose la plus simple à expliquer. Je ne suis plus de première jeunesse et un de mes genoux a connu les joies du bistouri à la suite d'une chute. Tenir assise sur une petite chaise pendant 15 à 20mn sans bouger, aïe. Évidemment, je peux mettre une grande chaise, mais là, je m'éloigne en hauteur des élèves les plus proches et dont les yeux sont donc moins accessibles, tout en introduisant dans un espace destiné à d'autres activités un élément sujet à dangers et donc à ôter et remettre en place jour après jour.
Malaise ensuite : je me sens très vite coincée par le groupe qui m'entoure et dont les regards et les attentes convergent vers moi, physiquement bloquée par le mur. Impossible de sortir de là sans écraser un doigts par ci, une main par là. Et puis, une fois assise, je ne peux plus me lever tout simplement parce qu'il n'y a plus de place.Et je ne parle pas du cahier de liaison qui arrive alors que nous sommes enfin installés et que je dois signer en jouant les acrobates.

La classe, pour moi, est une salle de spectacle permanent dont je suis l'organisatrice et l'animatrice. J'ai besoin d'espace tout simplement parce que je ne sais pas raconter une histoire, chanter une comptine ou introduire une notion de bijection sans me lever, bouger, m'agiter, aller chercher un objet ici, une feuille là...toutes choses impossibles à faire lorsque je suis installée le dos au mur avec les enfants si proches que nous pouvons nous toucher. Et s'il faut que je puisse me déplacer sans bouleverser leur propre installation (allez vous dégager du piège de la petite chaise sans que des élèves se lèvent à votre suite...), il faut aussi qu'ils puissent me voir et que je puisse les voir le plus confortablement possible. Si je suis trop proche, ceux qui sont près de moi sont obligés de lever la tête plutôt inconfortablement, et moi, je ne peux plus embrasser les regards au même niveau.
Et puis, en instaurant un certain espace de confort entre les plus proches et moi, je limite les pulsions naturelles des petits qui veulent capter l'attention et finissent par se jeter sur la maîtresse.
Donc, pour le confort de mes genoux, je pose les fesses sur une des fameuses petites tables, face aux élèves installés sur des bancs autour du tapis où certains ont pris place, tournant le dos au mur.

Ce qui est gênant, ici, c'est le fait que l'affichage des comptines soit au mur et que conséquemment, les élèves lui tournent le dos. L'inconvénient est cependant très mineur. Chaque comptine affichée colorée se retrouve à l'identique mais à colorier dans chaque cahier de vie : chacun a la sienne propre, et l'affichage de la classe fonctionne plus comme une mémoire collective à laquelle on peut toujours faire référence mais dont on n'a pas vraiment besoin au moment du regroupement. Les comptines et chansons sont autant de morceaux à dire, chanter mais surtout faire vivre avec forte implication corporelle et gestuelle : on est bien trop absorbé pour avoir besoin du support écrit. Par contre, en dehors de ces séances de pratique, c'est très souvent que des élèves spontanément réinvestissent les apprentissages sollicités par les textes et illustrations identifiés.
Installés ainsi, spontanément les rôles sont définis, et ce qui est étonnant, c'est que, bien que l'espace face aux élèves soit ouvert, ils ne quittent pas leur place (sauf pour un pipi anecdotique ou un nez qui coule de saison).
Moi, en face d'eux, je joue les maîtres d'œuvre : j'anime, je fais vibrer, je sollicite l'attention, je joue, je suis actrice des savoirs que je mets en scène. Quand j'ai besoin d'un support pour expliquer un exercice ou dessiner un bonhomme sous dictée par exemple, j'installe un petit chevalet sur la table, tout simplement. D'ailleurs, les élèves adorent le moment du petit chevalet qui signifie qu'ils vont devoir résoudre un problème collectivement avant de passer au travail individuel.
Et vous savez quoi, quand j'ai fini mon numéro de séduction pédagogique, sans qu'on leur demande rien, spontanément les élèves applaudissent et dès qu'il s'agit de passer aux traces sur papier...il faut freiner les enthousiasmes parce que tout le monde veut travailler tout de suite.

Je pense que l'installation spontanée et traditionnelle de l'enseignant dos au mur qui supporte les affichages répond à un faux problème : capter l'attention en misant sur le fait qu'en bloquant l'espace visuel des élèves on évite la dispersion de l'attention. C'est rassurant, parce que tout le monde ou presque fonctionne de cette façon, et que donc, ce doit être une bonne méthode.
Moi, je dis non! On se rassure, certainement, mais on se prive de tout un espace disponible simplement parce qu'on craint de se laisser déborder. Or, si la prestation est bonne, les regards ne quitteront pas le spectacle. Au contraire. Et ce sera d'autant plus fort que l'espace sera ouvert. Et puis, quand on est libre de bouger, on peut aller chercher l'objet, le livre dont tout à coup on a besoin...On peut oser un geste large sans rencontrer une tête.  Que celui qui ne s'est jamais trouvé un peu à l'étroit dans son animation lève le doigt...de même celle qui s'est dit, ça il faudra que j'y pense la prochaine fois, alors que si elle n'avait pas été coincée par son groupe, la prochaine fois aurait été tout de suite  Prenez des risques, lancez-vous...on y gagne en liberté,  en spontanéité, en fantaisie, en plaisir, en qualité pédagogique. Et ça vaut pour tout le monde, les petits comme les grands. On peut enseigner dans le plaisir. On peut apprendre dans le bonheur.

Et pour faire passer ce discours "technique", une comptine illustrée à l'aide de photocopies agrandies d'un album dont les coordonnées sont notées en marge en bas à gauche.
La comptine affichée et qui est déjà agrafée au mur, a été mise en couleur à l'aide de craies aquarellables qui permettent de conserver la structure graphique.



dimanche 4 octobre 2009

Cahier de vie : exemples de fiches à destination des parents




Le cahier de vie appartient à l'élève, mais il contient aussi des textes informatifs à l'usage des parents.
Plus tard, les élèves, devenus lecteurs puis adultes, pourront, à travers ces textes, mesurer l'ampleur du travail qu'ils auront accompli plus jeunes et regarder avec tendresse et empathie le petit qu'ils ont été et les petits qui les entourent. C'est une finalité qui dépasse largement le cahier de vie ras-de-plancher, qui se contente d'être une vitrine édulcorée et politiquement correcte de la vie en classe, un passage obligé des coutumes pédagogiques vidées de leur sens à force de désinvestissement et de pressions ministérielles valsant au gré des nominations.
Les parents sont des devenus-grands, et comme la plupart des "adultes", ils ont perdu le lien avec leur enfance. Le cahier de vie est un merveilleux vecteur pour leur faire pénétrer le monde de leur enfant, désormais élève, mais aussi pour leur permettre d'aimer à sa mesure le petit écolier qu'ils ont été. J'ai connu des parents fâchés avec l'école, voire même agressifs. Le cahier de vie de leur enfant les a réconciliés avec leur enfance et l'institution...du moins le temps que leur enfant a été dans ma classe. Car la carrière scolaire d'un enfant n'est pas toujours un lit de roses et tous les enseignants ne sont heureusement/malheureusement pas interchangeables...comme dans la vraie vie!
La fiche concernant les labyrinthes est à ce titre emblématique. J'explique les démarches employées pour faire comprendre à l'enfant que la trace laissée par son crayon sur la feuille de papier ne doit pas traverser les lignes du chemin qui mène le petit lapin à sa maman, et ce faisant, je montre quels processus intellectuels complexes se mettent en place dans le cerveau de leur enfant. Les réflexions des parents ne se font pas attendre : ils apprennent eux aussi des choses, sur leur enfant-élève, mais aussi sur eux-mêmes.
L'enfant n'est plus perçu comme un petit, un être incomplet que l'on gave de connaissances et de savoir-faire avant de lui donner le droit de vote, mais comme un être en devenir aux potentialités multiples à nourrir et à respecter. La différence est énorme.
C'est tout le fonctionnement de la classe qui bénéficie de ces regards éclairés, curieux et bienveillants, pour l'enrichissement et le  bonheur de tous, petits et devenus-grands, parents et encadrants scolaires. Je dis bien encadrants, parce que j'associe étroitement mon ATSEM à ce travail. Chacun a son rôle à jouer, ses tâches à accomplir, sans hiérarchie de fonction. Une classe qui tourne, c'est une œuvre commune, une partition collective.
J'ai entendu des réflexions sidérantes qui en disent long sur la façon dont les parents investissent l'École comme un monde à part, générateur d'angoisses et de craintes de jugement et de sanctions. On m'a dit souvent qu'on attendait avec impatience le cahier de vie pour y suivre non seulement le feuilleton de la classe, mais aussi pour lire mes fameuses fiches. "On apprend des choses, et surtout on se sent intelligent". Mais ils sont intelligents ces parents que j'ai en face de moi...simplement,  le système scolaire, sa défiance maladive, sa frilosité pédagogique, son angoisse d'être débordé, pousse les enseignants à les infantiliser pour mieux les tenir éloignés. L'ennui, c'est qu'une telle problématique ne résout pas les problèmes de cohabitation, au contraire. De là, des incompréhensions, des conflits, des revendications.
Descendre de l'estrade branlante des Grands Dispensateurs de Savoir, c'est la première des conditions pour travailler ensemble. Admettre que l'on est toujours en recherche, dire que l'on n'est pas l'Enseignant Parfait qui n'existe que dans des esprits étroits et limités, rappeler que l'on est humain donc faillible avant d'être enseignant, mettre l'accent sur ce que chacun a à apporter à son niveau sans établir de hiérarchie des contributions, convaincre que toute démarche est perfectible...et dire aussi, que tout ne se passe pas toujours comme on voudrait, et qu'il y a parfois des situations délicates à affronter, et que l'on ne s'y dérobera pas, aussi désagréables soient-elles.  On est là, ensemble pour faire grandir un petit enfant, et pour son bien, il ne conviendra jamais de ménager les adultes. Il faut que chacun en soit conscient. Aussi bien l'enseignant que les parents.

J'ai l'impression d'avoir écrit un texte militant, mais c'est l'éthique qui s'est mise en place au fur et à mesure de mes pratiques de maîtresse d'école. Je pense que mon passé de monitrice éducatrice (autrefois on disait  surveillante d'internat) dans un internat accueillant des "cas sociaux" a aussi grandement contribué à ma perception globale de l'enfant-élève, sans parler de mes études simultanées en fac de sociologie où je me suis spécialisée en sciences de l'éducation, à la grande époque de Baudelot et Establet, où l'on partait en guerre contre la reproduction du système social par l'école, statistiques à l'appui.
Mais mes plus grands soutiens sont mes lectures élargies, diverses et variées avec des recours en périodes de doute, à Françoise Dolto, tour à tour adulée, vulgarisée et jetée aux orties puis récupérée, mais encore et surtout Alice Miller, méconnue et néanmoins indispensable dont je recommande la lecture (C'est pour ton bien, Le drame de l'enfant doué, etc.).

Je pense avoir des choses à partager, à donner et j'espère que mes réflexions ne feront fuir personne.
Une collègue me demandait un jour : je peux te piquer ton idée? et moi de répondre : pique autant que tu veux, tu ne pourras jamais refaire ce que j'ai fait, tu le feras autrement, ni mieux ni moins bien, différemment, tout simplement. Au moins, j'ai la satisfaction que si tu me piques une idée, c'est que tu la trouves bonne.

Petite fiche rigolote et pourtant encore pas si anodine que ça : eh oui, même une paire de ciseaux, ce n'est pas un outil si anodin...d'aileurs, il suffit de voir le nombre de devenus-grands qui ne savent pas s'en servir correctement...même parmi les enseignants!