samedi 24 octobre 2009

Un "truc" à moi que je vous offre volontiers

Ce matin, un de mes petits élève est arrivé "en crise" à l'école. Son papa a eu du mal à déserrer les doigts qui le cramponnaient, et il est parti rapidement, après avoir dit au revoir tout de même, tout à fait conscient que sa présence ne résoudrait pas le problème.
Tous les enseignants de maternelle connaissent ces chagrins qui peuvent s'avérer communicatifs et face auxquels on est le plus souvent démuni.
Moi, j'ai un truc... infaillible ou presque. Je peux presque me vanter de ne pas connaître d'échec.
Un truc que j'ai "inventé" il y a plus de 15 ans pour ma fille d'abord, et que j'ai introduit ensuite dans ma classe pour la Fête des Mères, pour finalement le banaliser un jour de nécessité dans une fulgurance d'évidence.
J'utilise des Enveloppes à Bisous...à Vrais Bisous!
J'ai quelques précieuses photos d'élèves, assis côte à côte sur les petits bancs, tous le nez consciencieusement plongé dans l'enveloppe qu'ils venaient de décorer pour l'offrir à leur maman, et faisant résonner les bisous, avant de vite vite la fermer "pour pas que les bisous s'envolent".
Très vite je me suis rendue compte qu'il fallait un mode d'emploi à ce cadeau, parce qu' inévitablement, il y avait toujours une maman qui arrivait le lendemain, l'enveloppe ouverte à la main : "vous avez du oublier quelque chose, il n'y avait rien dedans!". La parade avait été immédiate, et je me demande encore comment j'ai pu m'en sortir de cette pirouette, sans doute à cause du regard désespéré de l'enfant. "Vous avez du l'ouvrir trop vite, les bisous se sont tous envolés, pourtant, je peux vous l'assurer, votre enfant en a mis beaucoup dedans, et ça faisait même beaucoup de bruit". La maman réalise alors sa gaffe (c'est pas bête, une maman, souvent juste un peu débordée) et comme je ne veux pas la laisser en difficulté, j'ajoute : "mais ce n'est pas grave, on va en faire une autre". Ouf, tout le monde est sauf!
Cela fait donc longtemps que l'Enveloppe à Bisous fait partie de mes stratégies de "maîcresse" d'école, et cette année encore, elle ne va pas chômer. Quand une maman est partie trop vite, ou un papa, bien sûr, quand il manque un câlin, je ne détourne jamais l'attention de l'enfant, je ne lui propose pas d'oublier son chagrin, au contraire, je mets des mots dessus. Je dis doucement : tu as un chagrin? tu es en colère? tu veux ta maman? tu voudrais lui faire un bisou? tu la verras ce soir, elle est au travail, elle a plein de choses à faire pendant que toi tu apprends à grandir. Mais si tu veux, ton bisou, tu peux le mettre dans une enveloppe, et tu lui donneras ce soir.
Eh bien, vous savez quoi? ça marche! Les bisous dans les enveloppes, on les entend! Et le soir, on ne l'oublie pas.
 Ce matin, j'ai donc ressorti ma stratégie anti-chagrin : j'ai emmené l'enfant avec moi dans le dortoir qui jouxte la classe, calmement, mais en lui tenant fermement la main, malgré ses cris et un peu de résistance. Le plus important est de ne pas se sentir personnellement agressée, parce que ça, l'enfant le ressent et le chagrin devient alors objet de conflit, ce qui évidemment déplace le problème, le complique et ne permet pas de le résoudre dans la sérénité. Je l'ai installé sur le bureau, et moi, assise sur la chaise, lui faisant face, de telle sorte que je puisse capter son regard alors qu'il baissait la tête tout à ses larmes. J'avais ses mains dans les miennes et je lui ai parlé doucement de son chagrin. Il voulait voir sa grande sœur. J'ai expliqué que ce n'était pas possible, mais je lui ai dit, d'un ton très confidentiel, que je pouvais faire quelque chose pour lui. Je lui ai dit que ce bisou qu'il voulait lui donner, il pouvait l'enfermer dans une enveloppe et lui offrir ce soir. L'enfant était déjà calmé...les Enveloppes à Bisous agissent d'une façon très mystérieuse et toujours spectaculaire pour peu que leur usage soit sincère.
Nous sommes allés chercher une enveloppe ordinaire dont j'ai toujours une liasse en réserve..
Pour continuer dans la mise en scène de l'émotion et parce que je crois qu'il est important de "dramatiser" ce qui va suivre pour lui conférer sa légitimité, nous sommes retournés dans le calme et la pénombre du dortoir, accompagnés de quelques curieux intrigués et néanmoins silencieux. Là j'ai demandé s'il était prêt...et j'ai tenu l'enveloppe ouverte devant ses lèvres. Et il n'y a pas mis qu'un seul bisou! Ensuite, j'ai vite clos l'enveloppe et j'ai écrit dessus, en lisant à haute voix au fur et à mesure : dans cette enveloppe, X a mis de vrais bisous pour sa grande sœur Y. Et l'enfant est allé ranger l'enveloppe dans son sac à dos, enfin réconcilié avec la terre entière.

Et c'est toujours avec le même succès que les chagrins d'amour prennent fin dans ma classe...il suffit de mettre des bisous, des vrais, dans une enveloppe!

Un jour, une collègue ou une maman, je ne sais plus, m'a suggéré de mettre des empreintes de lèvres découpées dans les enveloppes...Allons! les bisous sont-ils des traces sur un papier? certainement pas! Les bisous, c'est un joli bruit qui s'échappe dans un souffle d'amour, ça ne se dessine pas, ça ne s'imprime pas...mais on peut quand même les enfermer...dans une enveloppe par exemple. D'ailleurs, les enfants le savent bien : quand on colle son oreille sur une enveloppe remplie de bisous, on les entend, et ça fait du bruit!
Il me plait vraiment de penser que des mamans (ou des papas) ont, dans leur armoire, des enveloppes à bisous qu'elles conservent pour "quand elles en auront besoin".

Ces pourtant très modestes enveloppes me font toujours autant rêver : elles ne contiennent rien de palpable, de mesurable, et pourtant, elles sont remplies de tout l'amour du monde, toujours. De la poésie pure.

Pour les grands jours, évidemment, on décore une belle enveloppe accompagnée d'un texte de ma composition, imprimé sur un papier que je parchemine sur la plaque électrique de la salle des maîtres (fenêtres ouvertes, car fumées certainement peu recommandées) :






Pour ceux qui tiquent sur le "qu'à l'air de rin", il s'agit d'un clin d'œil spontané à une poésie de Jean Tardieu, "La môme Néant". J'adore ce poète et particulièrement ce texte.

Et puis un jour, on m'a demandé de fabriquer des enveloppes que l'on pourrait m'acheter...
Et puis un jour, j'en ai vendues lors d'une exposition : j'ai été stupéfaite du succès, et ravie de voir qu'autant de monde puisse être sensible à la poésie de l'objet. Plus tard, j'ai même retrouvé un fragment de ma poésie sur le blog d'une personne qui avait reçu une de mes enveloppe en cadeau...et on n'avait pas oublié de noter mon nom d'auteur, ce qui, bien sûr, m'a encore plus touchée.
Voilà donc l'histoire de l'Enveloppe à Bisous, dont j'ai fini par protéger le concept en attendant qu'un jour peut-être... mais je me sens plus douée pour la création que pour la commercialisation!
Je vous livre les textes qui accompagnent mes enveloppes. Je suis sûre que vous allez apprécier.




C'est vraiment un super truc pour désamorcer un gros chagrin, et ce n'est pas une manipulation de l'enfant pour avoir la paix : je respecte son chagrin qui est légitime, et je lui permets d'en sortir en transcendant son désir, en différant son besoin...ce qui peut aussi s'appeler apprendre à grandir...
Et moi, franchement, je suis ravie de distiller des petites touches de poésie et de bonheur juste avec une enveloppe...et un peu d'amour!

Est-on loin du Petit Jardin? Je ne crois pas...parce que jardiner, c'est aussi cultiver du bonheur et s'émerveiller de la vie, tout simplement...

Ce qui me fait penser qu'il me reste encore quelques pages à publier de mon dossier pédagogique...

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