mardi 13 octobre 2009

Dans une classe, même le plus anodin ne répond pas au hasard

Comme je l'ai dit dans une réponse à Sol-poisson, me voilà revenue sur le terrain après une absence d'un peu plus d'un an. J'ai été surprise de la façon dont j'ai réinvesti ma panoplie de maîcresse d'école (non, y a pas de faute d'orthographe...). C'est comme si, en quelques minutes, des parenthèses avaient absorbé cette absence pourtant longue.
Quand on est enseignant depuis un certain temps dans une même école (14 ans déjà), dans une même salle de classe de même niveau (6ème année), on finit par fonctionner dans un espace aménagé au gré des nécessités, mais dont l'ergonomie n'a pas livré ses secrets, tout simplement parce que la pratique n'est pas nécessairement conjointe à la réflexion. Heureusement qu'on ne passe pas son temps à s'interroger sur ses motivations, sinon on en finirait par ne plus avoir le temps de vivre.
Mais là, il se trouve que "mon" espace a été réaménagé par l'enseignante qui a vécu en ces lieux pendant plus d'un an. Normal qu'elle ait trouvé ses propres marques. Mais je n'ai pas pu m'empêcher de reprendre possession du "territoire" en lui redonnant quelques airs d'autrefois. Exit les 2 grands tables octogonales (au look pourtant sympa) mais qui ne permettent pas à 8 enfants de s'installer confortablement devant une feuille A4 dans le sens de la longueur, et dont le rayon dépassant largement l'amplitude d'un bras de petit enfant ne permet pas l'accès de chacun aux mêmes accessoires/outils. J'ai récupéré mes 4 petites tables rectangulaires de 4 places pour travailler, et jusqu'à 6 pour jouer ou manipuler. Avec ces petites tables, je peux varier l'aménagement des surfaces de travail à volonté, en les assemblant par 2, par 4, ou 3 + 1, dans la largeur ou la longueur. Et un changement de géographie de la classe ne laisse jamais indifférent : l'ambiance change, les circulations sont différentes, les échanges aussi. Quand toute la classe se trouve réunie autour des 4 tables assemblées avec une plus grande, il y a comme un air de fête qui participe de la communication ouverte : chacun voit tout le monde, et je crois que c'est dans ces moments que la notion d'appartenance à un groupe prend vraiment tout son sens, bien plus que dans les coins de regroupement où le groupe est plutôt orienté vers le Grand Dispensateur de mots (l'enseignant(e) bien sûr). Si vous le pouvez, testez dans vos classes si vous ne l'avez déjà fait.
Bon, voilà pour les tables.
Mais j'ai parlé aussi de l'organisation du coin regroupement. Ma jeune collègue est très à l'aise assise sur une petite chaise, le dos au mur sur lequel sont affichées les comptines apprises. Les élèves occupent 3 bancs situés en face et de part et d'autre, le surnombre s'installant par terre sur un tapis. Une organisation assez classique que j'ai pratiquée aussi mais dont je me suis très vite débarrassée. Et c'est là que je me suis posée la question : pourquoi avoir réorienté le système en miroir...c'est à dire les enfants dos au mur et moi avec tout l'espace classe dans le dos. Jamais je ne me serais interrogée sur cette question si je n'avais pas repris mes fonctions dans cette classe qui avait vécu sa vie sans moi pendant un an.

Le 1er jour, je me suis assise sur la petite chaise consacrée, le dos au mur.

Malaise et douleurs.
Éliminons les douleurs d'abord, c'est la chose la plus simple à expliquer. Je ne suis plus de première jeunesse et un de mes genoux a connu les joies du bistouri à la suite d'une chute. Tenir assise sur une petite chaise pendant 15 à 20mn sans bouger, aïe. Évidemment, je peux mettre une grande chaise, mais là, je m'éloigne en hauteur des élèves les plus proches et dont les yeux sont donc moins accessibles, tout en introduisant dans un espace destiné à d'autres activités un élément sujet à dangers et donc à ôter et remettre en place jour après jour.
Malaise ensuite : je me sens très vite coincée par le groupe qui m'entoure et dont les regards et les attentes convergent vers moi, physiquement bloquée par le mur. Impossible de sortir de là sans écraser un doigts par ci, une main par là. Et puis, une fois assise, je ne peux plus me lever tout simplement parce qu'il n'y a plus de place.Et je ne parle pas du cahier de liaison qui arrive alors que nous sommes enfin installés et que je dois signer en jouant les acrobates.

La classe, pour moi, est une salle de spectacle permanent dont je suis l'organisatrice et l'animatrice. J'ai besoin d'espace tout simplement parce que je ne sais pas raconter une histoire, chanter une comptine ou introduire une notion de bijection sans me lever, bouger, m'agiter, aller chercher un objet ici, une feuille là...toutes choses impossibles à faire lorsque je suis installée le dos au mur avec les enfants si proches que nous pouvons nous toucher. Et s'il faut que je puisse me déplacer sans bouleverser leur propre installation (allez vous dégager du piège de la petite chaise sans que des élèves se lèvent à votre suite...), il faut aussi qu'ils puissent me voir et que je puisse les voir le plus confortablement possible. Si je suis trop proche, ceux qui sont près de moi sont obligés de lever la tête plutôt inconfortablement, et moi, je ne peux plus embrasser les regards au même niveau.
Et puis, en instaurant un certain espace de confort entre les plus proches et moi, je limite les pulsions naturelles des petits qui veulent capter l'attention et finissent par se jeter sur la maîtresse.
Donc, pour le confort de mes genoux, je pose les fesses sur une des fameuses petites tables, face aux élèves installés sur des bancs autour du tapis où certains ont pris place, tournant le dos au mur.

Ce qui est gênant, ici, c'est le fait que l'affichage des comptines soit au mur et que conséquemment, les élèves lui tournent le dos. L'inconvénient est cependant très mineur. Chaque comptine affichée colorée se retrouve à l'identique mais à colorier dans chaque cahier de vie : chacun a la sienne propre, et l'affichage de la classe fonctionne plus comme une mémoire collective à laquelle on peut toujours faire référence mais dont on n'a pas vraiment besoin au moment du regroupement. Les comptines et chansons sont autant de morceaux à dire, chanter mais surtout faire vivre avec forte implication corporelle et gestuelle : on est bien trop absorbé pour avoir besoin du support écrit. Par contre, en dehors de ces séances de pratique, c'est très souvent que des élèves spontanément réinvestissent les apprentissages sollicités par les textes et illustrations identifiés.
Installés ainsi, spontanément les rôles sont définis, et ce qui est étonnant, c'est que, bien que l'espace face aux élèves soit ouvert, ils ne quittent pas leur place (sauf pour un pipi anecdotique ou un nez qui coule de saison).
Moi, en face d'eux, je joue les maîtres d'œuvre : j'anime, je fais vibrer, je sollicite l'attention, je joue, je suis actrice des savoirs que je mets en scène. Quand j'ai besoin d'un support pour expliquer un exercice ou dessiner un bonhomme sous dictée par exemple, j'installe un petit chevalet sur la table, tout simplement. D'ailleurs, les élèves adorent le moment du petit chevalet qui signifie qu'ils vont devoir résoudre un problème collectivement avant de passer au travail individuel.
Et vous savez quoi, quand j'ai fini mon numéro de séduction pédagogique, sans qu'on leur demande rien, spontanément les élèves applaudissent et dès qu'il s'agit de passer aux traces sur papier...il faut freiner les enthousiasmes parce que tout le monde veut travailler tout de suite.

Je pense que l'installation spontanée et traditionnelle de l'enseignant dos au mur qui supporte les affichages répond à un faux problème : capter l'attention en misant sur le fait qu'en bloquant l'espace visuel des élèves on évite la dispersion de l'attention. C'est rassurant, parce que tout le monde ou presque fonctionne de cette façon, et que donc, ce doit être une bonne méthode.
Moi, je dis non! On se rassure, certainement, mais on se prive de tout un espace disponible simplement parce qu'on craint de se laisser déborder. Or, si la prestation est bonne, les regards ne quitteront pas le spectacle. Au contraire. Et ce sera d'autant plus fort que l'espace sera ouvert. Et puis, quand on est libre de bouger, on peut aller chercher l'objet, le livre dont tout à coup on a besoin...On peut oser un geste large sans rencontrer une tête.  Que celui qui ne s'est jamais trouvé un peu à l'étroit dans son animation lève le doigt...de même celle qui s'est dit, ça il faudra que j'y pense la prochaine fois, alors que si elle n'avait pas été coincée par son groupe, la prochaine fois aurait été tout de suite  Prenez des risques, lancez-vous...on y gagne en liberté,  en spontanéité, en fantaisie, en plaisir, en qualité pédagogique. Et ça vaut pour tout le monde, les petits comme les grands. On peut enseigner dans le plaisir. On peut apprendre dans le bonheur.

Et pour faire passer ce discours "technique", une comptine illustrée à l'aide de photocopies agrandies d'un album dont les coordonnées sont notées en marge en bas à gauche.
La comptine affichée et qui est déjà agrafée au mur, a été mise en couleur à l'aide de craies aquarellables qui permettent de conserver la structure graphique.



3 commentaires:

  1. Bonsoir, je viens de te lire et je comprends mieux le pourquoi du comment.
    Pour ce qui est de la position de la chaise, je ne pense pas pouvoir adopter ton mode de fonctionnement. En effet, si j'optais pour ta position, je ne serai pas à l'aise pour faire classe. Je t'explique rapidement pourquoi: dans tout lieu publique comme au travail, je ne me pose que rarement dos à la porte. Pour moi,se trouver dos aux personnes susceptibles d'entrer ( parents amenant leurs enfants en retard, secrétaire, etc...)est une situation d'insécurité. C'est surement une conséquence de pratique des sports de combat... Le plus important je pense est de se sentir suffisamment à l'aise pour bien travailler. Très bonne soirée et merci pour tous ces petits trucs qui peuvent nous amener à réfléchir sur notre quotidien.

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  2. Bonsoir, c'est vrai que dans ma classe, la porte s'ouvre sur le côté par rapport au coin regroupement et que je n'ai pas eu à gérer ce genre de situation. Une porte qui s'ouvre dans le dos...il me semble évident qu'on ait besoin de faire face.
    Bon, comme tu dis, à chacun de se sentir le plus à l'aise possible. Mais il est important de se poser la question du pourquoi et du comment.
    A tout de suite pour mes premières plantations d'automne.

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  3. Un petit coucou et un autre point positif à ton dispositif; dans mon cas effectivement j'aurai la porte dans le dos en adoptant ta façon de faire. Mais, on attend aussi l'arrivée des parents sur les bancs et je passe 10 minutes tous les jours à essayer de les distraire pour éviter qu'ils se tortillent dans tous les sens pour voir si papa ou maman arrive. Avec ta façon de faire ils n'auraient plus de choix( entre moi qui réclame leur attention et le parent qui vient les chercher) à faire et pourraient rester assis sans être toujours en train de se retourner. Ça mérite d'être creusé...C'est vraiment sympa de se remettre en cause, de réfléchir différemment et de se rendre compte que ce qui"s'imposait" avant ne paraît plus si évident. Bonne soirée, je pars lire la suite.

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